Je me souviens, au collège à Brazzaville, il m’est arrivé lorsqu’on se chahutait entre camarades, d’entendre : “Tu es téké ? Mais c’est vous qui avez vendu le Congo!”. Après avoir affirmé le contraire, les autres insistaient: “Mais si! Le roi Makoko a vendu le pays aux français”.
Ce souvenir, comme tant d’autres qui était enfoui dans ma mémoire a resurgit lorsque je me suis plongée dans la lecture du roman de Jenifer Richard. Il est à toi ce beau pays est un immense roman, tant par ces 700 pages que par le sujet dont il traite de façon méthodique et profonde.
Le roman s’ouvre le suicide d’Ota Benga. Cet homme est un Pygmée qui se retrouve à travailler dans une usine de l’état de Virginie aux Etats Unis, pays qui vient de libérer ses esclaves. On est au début du 20ème siècle, l’entreprise coloniale est bien installée sur le continent africain, d’où il est originaire, la première Guerre Mondiale a lieue. Il n’a plus d’espoir de retour sur son continent. On se demande légitimement comment un Pygmée de la forêt d’Ituri qui est très attaché à ses pratiques ancestrales se retrouve t-il en Amérique ?
Le roman est une sorte d’enquête qui va révéler les circonstances et les événements historiques qui ont concouru à la mise en place du destin tragique d’Ota Benga. Jennifer Richard nous montre les motivations derrière l’entreprise coloniale visant l’Afrique centrale, à travers le portrait de différents personnages historiques plus ou moins célèbres.
Pierre Savorgnan de Brazza: l’enfer est pavé de bonnes intentions.
En 1874, il a 22 ans il arrive à Libreville. Idéaliste, cultivé venant d’une famille riche et influente, il profite de l’influence de son tuteur français, ministre de la Marine pour obtenir sa naturalisation française et une belle carrière.
Décrit comme étant jeune et beau, il bénéficie d’une aura qui ne laisse personne indifférent même ses ennemis, tels que Henri Morton Stanley.
Au départ il est d’une naïveté déconcertante. Il croyait sincèrement en sa mission de libération du continent africain sous l’égide de la France. De Brazza est la personnification du paternalisme dans tout ce qu’il a de plus insidieux. La bonne gestion du territoire et du destin des africains est l’affaire du colon.
Il a des ambitions de développement de partenariats avec les indigènes mais surtout il veut diriger le territoire qu’il a exploré et conquis grâce à la signature de contrats frauduleux.
Ne laissant rien paraître de la joie qui l'animait, Brazza récupéra son stylo à la plume malmenée et son document, sur lequel figuraient les quatre plus vilaines croix qu'il eût jamais vues, et se leva.
Léopold II, duc de Brabant: l’affreux monarque.
Pour ses 50 ans, le roi des belges a décidé de s’offrir le Congo. Le roman raconte tous les procédés et manigances qu’il met en place pour rendre son projet réel. En ressort le portrait d’un homme à deux visages. En public, il parait affable et possède une réputation de philanthrope, il faut dire qu’il sait donner le change. La personne qui le connait le mieux ? Sa reine, elle le méprise.
Complexé par la petite taille de son territoire, le roi a une volonté d’expansion. Comme les autres empire coloniaux, Léopold II jette son dévolu sur le continent africain. Il se met alors à la recherche d’un explorateur. Ne faisant rien par hasard, il choisi Henri Morton Stanley, un homme qui a soif de reconnaissance, qui a été rejeté toute sa vie et veut se venger. Un homme qui a soif de respect et de considération: quelqu’un qu’il pourra manipuler.
Le duc de Brabant est constamment en représentation. S’il entretient une relation, quelle qu’elle soit avec une personne, c’est qu’il en tire quelque chose. Il a réussit pour faire accepter son projet de posséder le Congo à se construit une image de “bienfaiteur de l’humanité, de mécène de la libération de l’Afrique, de chevalier de la civilisation”. Mais en réalité comme le dit sa femme, c’est un psychopathe.
Les colonies précisément sont les gardiennes de notre économie! Voilà pourquoi elles sont si précieuses Si le socialisme gangrène les Etats d'Europe, ils peuvent maintenant se tourner vers leurs colonies, où le travail n'est pas considéré comme une corvée qu'il faut coincer entre deux loisirs
Samuel Phillips Verner: le privilège blanc en action.
Samuel Verner est connu pour avoir ramené Ota Benga aux Etats Unis pour l’Exposition universelle de 1904, après l’avoir acheté sur un marché aux esclaves.
Dans le roman on suit le jeune Samuel au sein de sa famille issue de la bourgeoisie du Sud et dont le père est un éminent membre du KKK. Il est sujet à des délires psychotiques mais sa maladie mentale est plus traitée comme une déconvenue par ses parents. C’est un personnage central du roman car au fil de ses réflexions, il questionne la légitimité de son privilège blanc et la manière dont l’Amérique s’est construite en tant que nation.
En quoi consistait donc cette liberté, dans un pays qui avait assassiné ses premiers habitants, qui avait fondé sa croissance sur l'esclavage et qui s'était étendu en volant la terre d'un autre pays? Et l'Europe, qui jugeait ce pays digne d'incarner la liberté, se fourvoyait-elle ? Etait-elle aussi hypocrite ou s'agissait -il d'une mascarade à l'échelle ?
Je réalise que je suis plus informée sur l’histoire du peuple noir américain grâce à mes lectures et différents documentaires. Ce qu’a confirmé cet ouvrage c’est mon besoin d’en apprendre plus sur l’Histoire du continent africain. Ce roman est une mine d’informations sur les celle du colonialisme d’une partie de l’Afrique centrale. Il apporte des éléments de réponses, notamment sur la façon dont les européens ont pris connaissance de la richesse des sous sols africains.
Au début du roman, Livingston est mourant , perdu au cœur de l’Afrique confronté de nouveau à la solitude qui va avec son métier d’explorateur. A Ilala, il vit ses derniers instants, l’occasion de se remémorer sa vie. Il a assisté aux nombreuses exactions commises par les esclavagistes arabes de Zanzibar et les raconte dans son journal qui a été publié à Londres.
En plus des massacres, le journal de Livingston relate aussi le niveau de richesse des esclavagistes notamment celle de Tippu Tip une figure légendaire. C’est l’occasion pour des opportunistes d’aller rafler leur part de gâteau. Léopold II en véritable maître du storytelling, utilisera comme discours narratif et prétexte la libération du peuple africain des esclavagiste pour aller piller la région du Congo.
C’est de cette manière que j’interprète le “Peut être que tout a commencé là…” p23.
Ce qui me fascine en lisant les réflexions de ces explorateurs ou autres hommes bouffis de bonnes intentions vis à vis des africains, c’est comment un homme peut intégrer aussi profondément sa supériorité vis à vis d’un autre, surtout à l’échelle d’une culture. Le roman se concentre cependant sur les personnages, leurs situations, aspirations et ambitions. Parce que c’est bien ce dont il s’agit dans cette entreprise coloniale, d’ambition dévorante d’hommes qui ont trouvé le lieu pour la déployer dans toute sa démesure.
Les expéditions sont parsemées de grosses pertes humaines et les massacres sont perpétués en toute impunité notamment pour exploiter l’ivoire et le caoutchouc.
Il est à toi ce beau pays, donne une grande leçon sur le capitalisme et ses conséquences sur la nature. La chasse intensive des éléphants pour fournir de l’ivoire aux empires coloniaux a des conséquences visibles même de nos jours. Des forêts et des vies humaines ont été détruites pour l’exploitation du caoutchouc.
Tout le long du roman j’ai essayé de me figurer la quantité de travail que cela représente de couvrir avec tant de détails la vie de tous ces personnages. Il faut dire que Jennifer Richard est documentaliste pour la télévision. J’ai adoré la façon dont elle a intégré des détails de la vie des personnages et orchestré leur rencontres dans le roman.
Merci pour ce livre monumental que vous nous avez offert Jennifer Richard. Au plaisir de vous rencontrer un jour, surtout de vous relire!
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